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Les Carnets du Lépidoptériste Français

- Quelle est l'utilité d'une collection de papillons ?

Voici un sujet qui déchaîne souvent les passions... Nous allons tâcher d'y apporter une réponse mesurée ! Car le monde ne se partage pas entre les méchants qui tuent les papillons et les gentils qui se contentent de les regarder ou de les photographier. C'est une conception qui arrange peut- être ceux qui veulent faire passer les lépidoptéristes pour les responsables principaux de la disparition des papillons... mais elle ne résiste pas à un minimum de bon sens.

Rappelons d'abord que les lépidoptères ont des quantités d'ennemis naturels, qui bon an mal an éliminent 99 % des descendants de toutes les pontes. Autant dire que le lépidoptériste ne pèse pas lourd au milieu des oiseaux, chauve-souris et autres prédateurs... sans compter que par ailleurs l'homme a aussi une action destructrice sur ces derniers !

Cette remarque n'excuse évidemment en rien les comportements scandaleux des individus pour qui la destruction des espèces est érigée en commerce, ou de ceux qui n'ont comme objectif que l'accumulation des espèces rares. Dans ce cas, l'action de prélèvement devient massive, très ciblée sur des espèces déjà fragilisées, et contribue à les fragiliser davantage, avec un risque réel d'éradication.

Admettons en tout cas qu'il y a la place pour un comportement responsable, autorisant des prélèvements en nombre mesuré dans le respect de la survie des populations.

Cela dit, il faut bien répondre à la question : pourquoi faudrait-il prélever des Papillons ?

Avec une casquette de naturaliste de terrain, on répondra que les Papillons sont avant tout un spectacle vivant, et qu'il est préférable et autrement plus agréable de les observer ou de les photographier. Option défendue à juste titre par d'éminents spécialistes comme Tristan Lafranchis, qui à un moment de son parcours a définitivement abandonné toute collection pour se consacrer à la photographie et à l'étude de terrain.

Cela dit, mettons-nous maintenant à la place du débutant qu'il était ... il a pourtant ressenti à l'époque ce besoin de suspendre le vol de quelques papillons pour exercer son " coup d'oeil ", pour pouvoir observer dessus-dessous quelques spécimens de référence, les comparer avec les espèces ressemblantes et acquérir une détermination sûre. Ce qui lui a permis ensuite de passer à l'étape suivante...

Changeons encore de casquette et mettons-nous dans la peau de celui qui réalise des inventaires. Imaginez qu'il n'ait à sa disposition aucun exemplaire de collection. Comment juger de la véracité de telle citation ancienne ? On a parfois peine à imaginer les changements qu'a subi une faune locale sur plusieurs décennies... Sans spécimens témoins, comment ne pas traiter de fou celui qui ose prétendre qu'en 1950 on trouvait le Mélibée (Coenonympha hero) dans les forêts de la région parisienne ?

- Objection, votre honneur, répondra le photographe, si l'on avait eu la photographie numérique à cette époque, point n'aurait été besoin de perpétrer ces massacres d'innocents au nom de la Science !

- Ah Monsieur le photographe, votre discours m'est doux à l'oreille, d'ailleurs moi-même parfois, je taquine le déclencheur... mais on voit bien que vous êtes Rhopalocériste ! Il est sans doute possible, avec un peu d'expérience, de savoir distinguer 260 espèces " diurnes " sans jouer du filet, et encore... mais sur plus de 5000 espèces, dont certaines mesurent un centimètre, cela relève de la forfanterie, croyez-moi.

Objectivement, chacun a pu se livrer à l'exercice de la photo-mystère, et même les plus grands experts ont dû donner leur langue au chat face à une photo pas assez ceci ou trop cela, bref qui cache justement le caractère qui aurait permis d'identifier la bestiole. De plus, il faut reconnaître que certaines espèces ne se laissent pas toujours photographier, et ce sont autant de pièces à conviction qui s'envolent...

Enfin, prenons le point de vue du systématicien. Il n'est pas exceptionnel qu'en se penchant de près sur une espèce, on finisse par en découvrir deux, voire trois ou quatre, qui étaient précédemment confondues. C'est indéniablement une avancée scientifique qui n'est guère possible sans avoir réuni un matériel en nombre suffisant, ni l'avoir soumis à un examen approfondi et minutieux. Que conclure de tout cela ? Eh bien tout dépend de votre casquette ! Si vos centres d'intérêt sont compatibles avec une approche totalement pacifique des Papillons, ne vous croyez surtout pas obligés de les prélever ! Inversement, admettons qu'un prélèvement mesuré est sans conséquences et reconnaissons le droit aux débutants, aux systématiciens, aux Hétérocéristes, aux Microlépidoptéristes, d'y avoir recours, au moins occasionnellement, sans fausse honte.

Ceci est bien sûr une position de principe qui n'est pas un appel à la désobéissance civile... Certaines espèces sont " protégées ", soit, respectons-les, mais militons pour que l'on ne décourage pas les amateurs désireux d'acquérir et de développer un savoir qui, en fin de compte, sera exercé dans le sens d'une meilleure préservation des Papillons.

Et condamnons le commerce qui à l'inverse conduit à la destruction, et qui discrédite l'action des naturalistes bénévoles.

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