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Les Carnets du Lépidoptériste Français

La nuit du 18 janvier, toujours au fond des bois...

de notre envoyé spécial (Philippe)

Résumé du dernier épisode : la nuit de Noël, notre reporter avait exploré la forêt derrière chez lui à la recherche de femelles aptères de Géomètres, avec un certain succès... et il s'était promis de recommencer. Voici la suite de ses aventures...

Eh oui, tous les indicateurs sont au vert, ce soir du 18 janvier : un ciel couvert, une température d'environ dix degrés, des occasions comme cela ne se reproduiront pas ! Je prends mon appareil photo et ma lampe de poche, et je m'élance dehors. But avoué de l'expédition : inspecter des troncs d'arbres pour découvrir d'autres femelles aptères d'Hibernies.

Cette fois-ci, les cibles ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en Décembre. Quatre nouvelles espèces pourraient se rencontrer. Dans mon esprit, la plus probable est l'Hibernie grise (Agriopis leucophaearia), dont j'ai déjà vu voler quelques mâles ces derniers jours aux lumières de ma maison. Mais il est tout à fait envisageable d'observer la Phalène du Marronnier (Alsophila aescularia), L'Hibernie hâtive (Larerannis marginaria), voire la Phalène précoce (Theria primaria).

Comme on ne change pas une recette gagnante, j'emprunte exactement le même chemin que le 24 décembre précédent. Première constatation : c'en est terminé des nuées de Phalènes brumeuses (Operophtera brumata) sur les troncs. Là où trois semaines auparavant je pouvais rencontrer des centaines de mâles et des dizaines de femelles de ce papillon, je n'en verrai en tout et pour tout qu'une dizaine de mâles et une femelle. Et encore, en comptant un mâle pris dans une toile d'araignée...

Operophtera brumata dans toile d'araignée

Donc, pas de nuage de papillons, mais une activité bien visible quand même. Sur la plupart des troncs on peut observer tout de même un ou deux papillons mâles posés. De même je croise de nombreux individus en vol.

Parmi ces mâles je reconnais quelques Hibernies défeuillantes (Erannis defoliaria). Ce papillon est encore plus commun qu'en décembre. J'en rencontrerai finalement une bonne trentaine de mâles et environ 5 femelles. Et, pour la première fois, un accouplement.

Accouplement d'Erannis defoliaria

Mais je ne tarde pas à constater que la majeure partie des papillons observés appartiennent à une autre espèce : l'Hibernie hâtive (Larerannis marginaria). En tout j'en noterai probablement une petite centaine en deux heures. C'est un peu une surprise car je n'avais pas encore vu cette espèce aux lumières. C'est donc le tout début de l'époque de vol... et les émergences semblent massives. Je me dis que les femelles ne devraient pas être difficiles à trouver (en espérant secrètement qu'elles commencent à émerger en même temps que les mâles).

Mâles de Larerannis marginaria

Effectivement, il me faut moins de cinq minutes pour trouver ma première femelle. Elle est agrippée à un tronc à près de deux mètres cinquante de hauteur. La femelle de cette espèce se distingue immédiatement de celle des autres Hibernies, par la forme caractéristique de ses moignons d'ailes. D'abord, c'est chez l'Hibernie hâtive que ces moignons sont les plus développés. Ensuite, fait original, les moignons postérieurs sont nettement plus longs que les moignons antérieurs. Ces ébauches d'ailes portent des dessins qui évoquent vaguement ceux du mâle. Il semble que la couleur des femelles soit très variable, à en juger par la demi-douzaine de femelles que j'ai pu observer.

Femelles de Larerannis marginaria

La plupart de ces femelles étaient perchées en hauteur, seule l'une d'elles, accouplée, était située près du pied de l'arbre.

Accouplement de Larerannis marginaria

Je suis tout de même surpris de ne pas voir l'Hibernie grise (Agriopis leucophaearia), une espèce qui chaque hiver se révèle abondante. De plus, j'avais noté cette année une prolifération de ses chenilles au printemps. Je persévère donc, en inspectant plus particulièrement les chênes, plante nourricière favorite de l'espèce. Bingo : sur le tronc d'un chêne, en effet, voici un accouplement (qui se sépare dès qu'il me voit). Ce sont les deux seuls représentants de l'espèce que je verrai.

Couple et femelle de Agriopis leucophaearia

Enfin, j'aurai l'occasion de voir un mâle solitaire de la Phalène du Marronnier (Alsophila aescularia). Sans doute un précurseur, car c'est vraiment encore tôt dans la saison pour cette espèce. Gageons que pour trouver des femelles, février sera la bonne époque !

Mâle d'Alsophila aescularia

En fin de compte, seule une espèce, la moins fréquente, manque à l'appel. Pas franchement étonnant : je n'ai vu que quatre mâles de Theria primaria en treize ans. On ne peut pas tout attendre la première nuit !