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Les Carnets du Lépidoptériste Français

Observer les papillons

La plupart des gens pensent que l'on ne peut voir des papillons qu'en été, au soleil, sur les fleurs... quelle vision étriquée du monde ! Mais oui, il y a aussi des papillons qui volent l'hiver, la nuit, qui ne butinent pas. Il y en a même qui ne volent pas... Conséquence : pour apprécier toute cette diversité de comportements, il est indispensable de varier les approches. Voici les principales :

1 - Observation des imagos sur les fleurs

L'approche classique pour les Papillons de jour. La plupart de ceux-ci, pourvus d'une trompe bien fonctionnelle, passent le plus clair de leur activité à butiner sur diverses fleurs. Il est à noter que la relation Papillon- fleur n'est pratiquement jamais exclusive. Et pour cause : les besoins énergétiques du Papillon sont tels qu'il ne pourrait les satisfaire en se limitant à une seule espèce. Bref, il n'a pas vraiment les moyens d'être exigeant ! Mais chaque espèce de Papillons a ses préférences, souvent orientées, par la force des choses, vers les fleurs qui partagent avec lui les mêmes exigences et les mêmes milieux, et qui sont le plus à même de répondre à ses besoins. Par exemple, l'Apollon est souvent rencontré sur les Scabieuses, les Chardons ou les Centaurées.

Par opportunisme, certains Papillons ont développé une préférence alimentaire pour les fleurs de la plante qui nourrit leurs chenilles. Pratique : toutes les activités, de la reproduction à la restauration, peuvent se dérouler dans un même périmètre ! C'est notamment le cas de l'Azuré des Sanguisorbes (Maculinea telejus), qui passe le plus clair de son temps sur la Sanguisorbe officinale, sa "plante-à-tout-faire".

Mais l'observation sur les fleurs est une méthode qui convient aussi pour bon nombre de Papillons de nuit. Car on oublie souvent que la reproduction de certaines espèces végétales passe exclusivement par les Papillons de nuit, et tout particulièrement les Papillons crépusculaires. Lesquels crépusculaires sont généralement peu attirés par les sources lumineuses... d'où l'intérêt de les guetter sur les fleurs. On pourra ainsi observer très régulièrement le Sphinx de l'Epilobe (Proserpinus proserpina), espèce pourtant réputée rare (ce qui lui a valu une protection légale finalement peu justifiée).

Observons par exemple des fleurs de Silènes. Toutes flétries au soleil, elles renaissent au crépuscule et émettent alors des senteurs affriolantes qui attirent de loin de nombreuses espèces, essentiellement des Noctuelles ou des Sphinx. La plupart du temps, il ne fait pas encore nuit noire, et, sans apport de lumière artificielle, on peut détecter la présence d'un butineur par le soudain mouvement d'une des fleurs blanches au bout de sa tige. En vol stationnaire, le consommateur a introduit sa trompe dans le calice et reste ainsi quelques secondes avant d'aller visiter une autre fleur.

Bien d'autres fleurs se prêtent à ce type d'observations crépusculaires. Citons notamment quelques espèces que butinent tout particulièrement les Sphingides : les Chèvrefeuilles, le Tabac, les Belles-de-nuit, les Pétunias, les Phlox, sans oublier diverses Orchidées.

Petit Sphinx de la Vigne butinant le Chèvrefeuille, Bas-Rhin, 2005

Par ailleurs, certaines fleurs se révèlent aussi bien attractives de jour que de nuit : les Lavandes, les Buddleias par exemple. La palme revient sans doute aux Lierres, tout bruissants d'Hyménoptères et de Vulcains pendant la journée, et qui, dès la nuit tombante, deviennent le lieu de rendez-vous de nombreuses Noctuelles automnales.

Deux Noctua comes butinant des Lierres

Signalons également un fait peu connu : dans certaines conditions, les inflorescences des Graminées peuvent se révéler très attractives pour des Hétérocères. Notamment, il nous est arrivé d'observer, certains automnes, des dizaines de Noctuelles des genres Xanthia, Agrochola, Aporophyla... occupées à butiner sur les " plumeaux " des Phragmites. Etrangement, ce phénomène n'est pas toujours reproductible : certaines années, les mêmes inflorescences sont désespérément vides de tout Papillon... Il en est d'ailleurs de même des Lierres, sur lesquels l'affluence en Lépidoptères peut être extrêmement variable d'une année à l'autre.

Bien sûr, il existe des Papillons peu romantiques qui ne fréquentent pas ou peu les fleurs. C'est évidemment le cas des espèces qui ne se nourrissent pas à l'état d'imago (différents Bombyx notamment). Mais cela concerne aussi des Papillons qui ont d'autres goûts alimentaires : les Mars Changeants ou les Grands Sylvains, par exemple, préfèrent les excréments, les matières en décomposition... et seront rarement observés sur les fleurs.

2 - Observation des imagos près des plantes nourricières

Cela paraît un lieu commun, mais tant pis, allons-y : un Papillon femelle ne peut guère se permettre de rester toute sa vie à l'écart de sa plante nourricière. Dès lors, une bonne stratégie pour observer une espèce consiste à se poster non loin de cette dernière. Cela suppose tout de même deux conditions : connaître les plante-hôtes (pour cela reportez-vous à votre site Internet préféré !) et s'assurer que ces dernières sont relativement spécifiques et/ou localisées... Autant dire que la méthode ne convient pas aux Lépidoptères polyphages, ou oligophages sur les Graminées, par exemple.

A l'opposé, sauf à compter sur la chance, cette approche est indispensable pour rencontrer certaines espèces réputées " rares ". En réalité cette prétendue rareté vient souvent d'une faible mobilité de l'espèce, du fait de la localisation stricte de ses milieux de reproduction. Inversement, une fois que l'on s'est installé au coeur de ces milieux, la probabilité de rencontrer l'espèce est maximale, et souvent bien plus élevée que pour une espèce ubiquiste réputée banale !

Parmi ces espèces localisées, figurent de nombreux Eupithecia (Geometridae), Cucullia (Noctuidae)... Il est difficile de trouver Eupithecia actaeata sans avoir localisé préalablement l'Actée en Epi, de même qu'il serait téméraire d'espérer rencontrer La Noctuelle Gortyna borelii si l'on n'a pas trouvé aux alentours de belles populations de Peucédans. Un autre exemple est fourni par plusieurs espèces de Geometridae, plus ou moins strictement inféodées à la Balsamine Impatiens noli-tangere. Une fois connues les exigences de la plante, il sera assez facile de trouver les Géomètres correspondants : Eustroma reticulatum, Ecliptopera capitata, Xanthorhoe biriviata.

Là encore, il est bon de se rappeler que la présence d'une plante nourricière est une condition nécessaire, mais pas toujours suffisante... sinon il suffirait de faire cartographier les Papillons par des botanistes.

Parmi les avantages de la méthode, ajoutons qu'elle permet souvent d'observer des femelles et des comportements de ponte, ce qui ouvre la voie à d'instructives expériences d'élevage. L'Hétérocériste pourra évidemment combiner cette méthode avec la suivante, en installant une source lumineuse non loin d'un parterre conséquent de plantes nourricières.

3 - Attraction lumineuse

C'est la méthode classique pour attirer les Nocturnes. Il existe de nombreux dispositifs, qui utilisent une source d'énergie, une lampe aux radiations adéquates, et une surface réfléchissante.

Le maximum de confort est obtenu avec une surface réfléchissante verticale. Les Papillons s'y posent volontiers et y restent bien visibles au lieu de se faufiler dans les herbes où l'on risque de les perdre et de les écraser. C'est aussi moins fatigant pour l'entomologiste qui est moins souvent à quatre pattes... De même, cela neutralise les moustiques, qui ont également tendance à s'immobiliser sur le drap vertical. Cela dit, on peut très bien utiliser un drap posé au sol, à condition d'accepter les petits inconvénients qui en découlent.

Le dispositif le plus simple est obtenu en suspendant une lampe fixe à l'extérieur, à l'abri de la pluie, devant un mur blanc. Il suffit de brancher le tout sur le secteur, d'intercaler un programmateur, et voici de quoi réaliser un inventaire de jardin ! L'intérêt du programmateur est de permettre aux exemplaires attirés de s'éloigner avant le matin, sans attendre le réveil des oiseaux insectivores. Une inspection chaque soir, avant de se coucher, permet aux fils des ans d'accumuler des observations en nombre conséquent : ainsi, au bout de dix ans, l'inventaire d'un jardin, dans un lotissement des Yvelines, a totalisé plus de 500 espèces !

A l'opposé, des systèmes très sophistiqués ont été imaginés, pour attirer et retenir des espèces sans nécessiter la présence d'un observateur sur place. L'intérêt est de pouvoir multiplier les points d'inventaire lors d'une même nuit, et aussi de faire la connaissance de certaines espèces dont les horaires de vol sont peu compatibles avec les heures de sommeil des lépidoptéristes ! Parmi ces dernières, citons le cas de plusieurs Arctiides méridionales comme Ammobiota festiva, Hyphoraia testudinaria ou Arctia tigrina ( = fasciata), qui volent généralement vers quatre ou cinq heures du matin.

Ces pièges combinent généralement un système de nasse (pour retenir momentanément les espèces attirées), et un système de cachettes (pour inciter les papillons à s'immobiliser dans le piège). Il est important d'offrir des recoins sombres en nombre suffisant pour éviter que les insectes ne subissent en permanence l'excitation provoquée par la lumière et par leurs congénères, ce qui les conduirait à se détériorer. Pour cela, on utilise généralement des empilement de plaques de cartons ou des boîtes à oeufs. La source lumineuse employée pour ces pièges est généralement un ou plusieurs tube(s) actinique(s) de faible puissance (par exemple 8W) , alliant discrétion, faible pouvoir d'excitation et faible consommation.

Il existe même des pièges qui asphyxient automatiquement les papillons attirés, mais il est bien évident que nous condamnons vigoureusement ces pratiques destructrices, incompatibles avec le respect du milieu naturel.

De façon générale, l'attraction est plus efficace avec des ampoules puissantes, de 100 à 500 W, plus ou moins enrichies en ultra-violets ( modèles " mixtes " ou " UV "). Les ampoules mixtes ont l'avantage de pouvoir se brancher directement sur une source de 220 V (secteur ou groupe électrogène). Elles ont l'inconvénient de chauffer beaucoup et d'éclater sous la pluie. Les ampoules UV nécessitent en général un transformateur, en revanche elles ne craignent pas la pluie. Il existe aussi des transformateurs pour utiliser ces ampoules avec une batterie de 12V, mais au risque de vider rapidement la batterie... Se souvenir également que les UV sont nocifs pour la vue et provoquent facilement des migraines : l'utilisation de lunettes est fortement recommandée.

Piège lumineux

Les tubes fluorescents peuvent également être utilisés : prendre des modèles actiniques (lumière bleutée mais bien visible) ou lumière noire (lumière pratiquement invisible). La lumière noire, plus coûteuse, est particulièrement discrète et convient mieux pour des pièges abandonnés dans la nature. Attention : ne pas oublier que le piège sera également difficile à retrouver par l'entomologiste, s'il souhaite le relever en pleine nuit ! Ces tubes, à très faible consommation (6 à 20 W) peuvent tenir toute une nuit branchés sur une batterie de voiture (mais pour les plus gros modèles, conçus pour le 220V, cela implique un convertisseur coûteux, pas toujours facile à trouver). Ce qui est un avantage, si l'on voyage " léger " en voiture : il suffira de se brancher sur l'allume-cigare de la voiture.

De façon générale, les tubes ont un rayon d'attraction plus faible, surtout si le ciel est clair (lune, voisinage des villes). A contrario en montagne par nuit noire, ils peuvent être utilisés avec une très bonne efficacité. Ils ne craignent pas la pluie. Par ailleurs, ils peuvent attirer des espèces sur lesquelles les fortes lumières ont un effet répulsif. De plus, pour ceux qui apprécient le silence de la nuit, l'usage d'une batterie au lieu d'un groupe est autrement plus agréable. Toutefois, si l'oreille y gagne, la vue est soumise à rude épreuve, car la lumière dispensée par les tubes reste faible. L'usage d'une lampe de poche en complément reste indispensable.

Au-delà du choix du matériel, le choix du milieu et les conditions météo sont déterminants pour la réussite d'une attraction lumineuse. Les meilleures nuits sont les nuits douces, sans lune, sans vent et sans pluie, si possible avec un ciel couvert. Le facteur température doit aussi s'apprécier par rapport aux nuits précédentes : la tendance doit être au réchauffement. Ne pas oublier que même par temps défavorable, il est souvent possible de trouver un emplacement privilégié : en sous-bois dense par pleine lune, derrière un rideau d'arbre ou dans un talweg abrité par temps venteux... seule la température peut difficilement être contournée.

Les meilleures localités sont celles qui combinent plusieurs types de milieux : lisières, flancs de coteaux, zones de contacts entre stations sèches et humides. Elles permettent d'attirer une plus grande diversité d'espèces. En revanche, se mettre au milieu d'un biotope homogène est plus riche d'enseignements quant aux préférences écologiques des espèces attirées. C'est pourquoi si l'on prospecte à plusieurs, il est toujours intéressant de s'installer dans des milieux plutôt typés, aussi variés que possible, afin de comparer les résultats.

L'attraction lumineuse est incontestablement le moyen qui procure le plus grand nombre d'espèces en peu de temps. Toutefois c'est aussi une solution de facilité, qui ne doit pas faire oublier d'autres méthodes plus ciblées, qui conviennent mieux à certaines espèces réfractaires à la lumière (genres Catocala, Cucullia...).

A ce sujet, concluons par un proverbe papillon : " Ventre affamé n'a pas d'yeux "... Autrement dit, l'expérience prouve que lorsque les papillons sont occupés à s'alimenter, ils se montrent généralement peu sensibles à l'action de la lumière. Illustration : lorsqu'en automne, on dispose une lampe à quelques mètres d'un imposant lierre en fleur, on est souvent surpris de ne pratiquement attirer aucun papillon ! Et pourtant, si l'on s'approche du lierre avec une lampe de poche, on peut parfois dénombrer plus d'une centaine de Noctuelles occupées à se nourrir. Conclusions : en matière d'attraction lumineuse, évitons toute concurrence... et n'hésitons pas, si l'affluence à la lumière est inexplicablement faible, à regarder aux alentours.

4 - Miellée

Cette méthode consiste à réaliser un pot-pourri de matières sucrées et odorantes, et à en badigeonner divers supports, afin d'attirer des Papillons en général nocturnes. Toutefois, comme le montre la photo ci-dessous, cela fonctionne aussi très bien pour les diurnes.

Vulcain et Tircis par l'odeur alléchés

Loin de nous l'idée de donner une recette (d'autant que la nôtre change à chaque fois, en fonction des matières premières disponibles !). Nous nous bornerons à donner des exemples d'ingrédients : sucre, bière, miel, vin, rhum, banane bien mûre, pomme cuite, raisin écrasé... Le résultat ne doit pas être trop liquide.

Il est recommandé d'appliquer le mélange sur un support placé à une certaine hauteur (un mètre environ), de préférence un tronc, une grosse branche ou un poteau. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque la miellée est mise en place en fin d'après-midi, sur un support encore exposé au soleil (probablement du fait de la chaleur emmagasinée par le bois, qui augmente le dégagement d'odeurs).

Les résultats obtenus peuvent être extrêmement variables. Certaines nuits voient se presser les convives, mais parfois aucun papillon ne sera attiré. De façon générale, le nombres d'exemplaires attiré est faible (un à deux par point de miellée), et les observations sont réalisées surtout en début de nuit.

Par ailleurs, les espèces attirées se recrutent en général parmi un petit nombre de " spécialistes ". D'abord, évidemment, on n'attirera que les espèces pourvues d'une trompe fonctionnelle, ce qui élimine d'emblée les Bombycoïdes, entre autres. De façon générale, l'exercice convient particulièrement bien aux Noctuelles, et notamment les représentants des genres Noctua, Agrotis, Mesapamea, Amphipyra, Mormo, Phlogophora... Les Géomètres ne seront qu'exceptionnellement observés de cette façon.

Il est intéressant de noter que certaines espèces ne sont pratiquement observées qu'à la miellée : citons notamment une espèce réputée fort rare, Agrochola laevis. Autres exemples : Amphypyra perflua, Mormo maura, et de nombreuses Catocales qui sont plutôt lucifuges mais toujours prêtes à accourir à l'appel d'une mixture sucrée.

En résumé, la miellée est plutôt une méthode d'appoint. Elle permettra en général peu d'observations, mais elle peut apporter un " bonus " inattendu.

5 - Inspection des troncs en hiver

Après le badigeonnage des troncs, l'inspection des troncs ! Une méthode qui a surtout comme objectif de découvrir des femelles d'Hibernies (Géomètres). En effet, ces dernières ont la double particularité d'émerger en hiver et de ne pas voler, étant dépourvues d'ailes fonctionnelles. Pour trouver ces femelles, dont les ailes sont absentes ou atrophiées, le moyen le plus simple est souvent de les rechercher de nuit lorsque, grimpées sur les troncs d'arbres, elles tentent d'attirer les mâles (ailés, quant à eux) en émettant des phéromones.

Le plus simple est de rechercher sur les troncs lisses (Hêtres, Charmes) où ces insectes sont beaucoup plus visibles. En général les femelles sont installées à bonne hauteur (souvent à deux mètres du sol). Célibataires, elles sont souvent assez difficiles à repérer. En revanche, lorsqu'elles sont accouplées, cela devient un jeu d'enfant, car on distingue d'assez loin le mâle, ailes refermées à la manière d'un Diurne, posé la tête en bas sur le tronc.

La méthode convient à merveille pour les espèces très communes : certaines années, les troncs d'arbres sont littéralement couverts des mâles et des femelles de certaines Phalènes comme Operophtera brumata, Erannis defoliaria ou Larerannis marginaria.

Pullulation de la Phalène brumeuse fin décembre 2005, Yvelines

Pour certaines espèces dont les populations sont moins denses, il faudra compter davantage sur la chance. Ou sur l'élevage....

6 - Recherche des premiers stades

On ne le répètera jamais assez, l'élevage est source de joies ineffables. En contrepartie, c'est souvent un travail de longue haleine. On n'a rien sans rien ! Indispensable pour obtenir certains imagos discrets, l'élevage sera toujours le moyen, même dans le cas d'espèces faciles à observer, de faire la connaissances des premiers stades du papillon, avec leurs formes et leurs comportements souvent inattendus.

La recherche des premiers stades est précieuse lorsque l'on cherche à inventorier une station sur une période de temps limitée, qui ne couvre pas les époques de vol de toutes les espèces potentielles. Les bureaux d'étude ont souvent des missions qui vont d'avril à septembre, pour des raisons bassement budgétaires, ce qui leur permet rarement de rencontrer les imagos des espèces à vol automnal ou hivernal.

Par ailleurs, le fait de trouver une chenille en train de se nourrir fournit des informations intéressantes pour un inventaire. Cela montre d'abord que l'espèce se reproduit sur place (ce qui ne veut pas dire durablement). Par ailleurs, la connaissance de la plante nourricière locale (qui peut être différente d'une région à une autre) permet souvent de préciser les exigences de l'espèce, et par la suite, si celle-ci est sensible, de proposer des mesures de gestion du milieu appropriées.

Une fois que la plante-hôte locale est précisée, on peut souvent multiplier les observations de l'espèce dans d'autres localités, à l'aide de botanistes. Ainsi, la connaissance de la répartition de certaines espèces, comme la Noctuelle Euchalcia bellieri ou la Géomètre Eupithecia immundata a progressé considérablement dès lors qu'on a pu connaître mieux la plante-hôte et ses localités, ainsi que le cycle de vie de la chenille sur sa plante.

Parmi les premiers stades, c'est la chenille qui est le plus facile à trouver. Les oeufs sont souvent très petits, et fréquemment dissimulés dans des cachettes diverses : anfractuosités d'écorces, replis de feuilles... Quant aux chrysalides, elles sont fréquemment enterrées ou homochromes. De plus, ces deux stades ont l'inconvénient d'être peu mobiles et de ne pas se nourrir : leur absence d'activité ne trahit guère leur présence. A l'inverse, la chenille, être boulimique, laisse des traces partout où elle passe : végétaux rongés, excréments disséminés...

Pour trouver les chenilles, la période favorable est le mois de mai. Sur les arbres, les feuilles à peine écloses se trouvent attaquées par les larves de nombreuses espèces, très faciles à repérer par leurs écumoires toutes fraîches. A cette époque, les espèces trouvées seront surtout des Hibernies (Géomètres hivernaux), dont les femelles sont généralement aptères. Mais on pourra également rencontrer des Noctuelles d'été.

Il est bon de signaler que de nombreuses chenilles (surtout inféodées aux plantes basses) ont une activité strictement nocturne, se cachant de jour dans le sol, sous les feuilles mortes, sous les pierres, voire dans les anfractuosités des écorces. Pour celles-ci, l'inspection des plantes herbacées à la lampe de poche permettra de faire de belles rencontres. C'est ainsi que l'on trouvera facilement les chenilles des Satyridés sur Graminées. On pourra également rechercher des chenilles, de jour, sous les pierres : cette méthode convient très bien à de nombreuses Ecailles, comme Cymbalophora pudica (dans le Midi) ou Arctia flavia (en haute altitude).

De façon générale, la recherche des chenilles est facilitée par la connaissance de leur biologie, de leurs plantes-hôtes et de la répartition de celles-ci. On trouve beaucoup mieux lorsque l'on sait ce que l'on cherche !

7 - L'attraction sexuelle

Cette méthode ne convient que pour les Hétérocères. Ces derniers, qui volent surtout la nuit, comptent essentiellement sur les médiateurs chimiques pour trouver leurs partenaires.

Depuis J.H. Fabre et ses expériences sur les Grands Paons de nuit (Saturnia pyri), on sait en effet que les femelles de la plupart des espèces nocturnes émettent des substances odorantes puissantes, appelées phéromones, capables d'attirer des mâles à des distances de plusieurs centaines de mètres. Pour capter ces molécules, les mâles disposent de récepteurs situés sur leurs antennes, qui sont souvent plus développées que chez les femelles (antennes pectinées, ou bipectinées, en forme de peignes).

Pour pratiquer l'attraction sexuelle, il est indispensable de disposer de femelles vierges, car une fois accouplées ces dernières cessent d'être attractives. Mais comme les femelles émettent leurs substances odorantes très tôt après leur émergence (parfois avant même d'avoir séché leurs ailes !), leur virginité dans la nature est souvent de courte durée. De plus, elles volent très peu avant l'accouplement, or la plupart des méthodes de capture s'adressent à des papillons en mouvement... autant dire qu'on a très peu de chances de trouver des femelles vierges dans la nature. Il est donc quasiment inévitable de recourir préalablement à l'élevage.

Autant dire que l'attraction n'est pas à proprement parler une méthode pour observer des papillons difficiles à obtenir par d'autres moyens (puisqu'il faut déjà élever l'espèce, méthode qui en général produira des mâles et des femelles). Il s'agit plutôt d'un moyen intéressant permettant de vérifier la présence, dans une localité donnée, d'une espèce dont on aura obtenu une souche provenant d'une autre localité. On peut ainsi esquisser des cartes de répartition de façon assez systématique (pour peu que l'on pratique à l'intérieur de l'époque de vol de l'espèce !).

Il est recommandé de placer la femelle a une certaine hauteur du sol, afin que les vents puissent disséminer efficacement les phéromones. La femelle ne doit pas être perturbée, car elle doit être au calme pour se mettre en position d'appel (évagination des glandes abdominales). Si l'on souhaite faire durer l'attraction, il faudra installer la femelle dans une cage grillagée fermée ou une poche de gaze obturée, afin que les premiers mâles ne puissent pas atteindre la femelle. Autour de cette petite enceinte fermée, on peut disposer un piège en forme de nasse, qui retiendra les mâles attirés.

Mais on peut aussi attacher la femelle sur un tronc à l'air libre, à l'aide d'un fil passé autour de son thorax entre les ailes antérieures et postérieures... et il ne reste plus qu'à attendre qu'un mâle vienne s'accoupler (variante entomologique de la pêche à la ligne !).

Les phéromones sont des molécules assez complexes, dont la formule est propre à chaque espèce, ce qui n'est guère étonnant sinon les espèces se perpétueraient difficilement ! Les laboratoires de lutte agronomique savent aujourd'hui synthétiser certaines de ces molécules, qu'ils utilisent avec succès pour perturber la reproduction des espèces nuisibles (technique de " confusion " consistant à diffuser dans des cultures des concentrations importantes de phéromones, de sorte que les mâles sont éliminés avant de pouvoir localiser les femelles).

Il est possible de se procurer auprès de laboratoires spécialisés des phéromones de synthèse de certaines espèces, et tout particulièrement des Sésies. Ces petits Papillons (non encore représentés sur ce site, hélas), aux ailes translucides et au corps élancé, ressemblent à des guêpes ou des ichneumons et sont très difficiles à observer dans la nature. L'attraction phéromonale est une méthode idéale pour faire la connaissance de ces Lépidoptères très discrets.

Synthèse

Si certaines méthodes sont plus généralistes, on ne pourra réellement bien connaître la faune d'une région sans mettre en oeuvre l'ensemble des méthodes ci- dessus. S'en priver ferait passer à côté d'un certain nombre d'espèces, mais aussi cela amènerait à porter un jugement erroné sur la rareté des espèces et leur vulnérabilité.

Ci-dessous un petit tableau récapitulatif des méthodes les plus appropriées à certaines espèces.

Espèce Méthodes les plus efficaces (par efficacité décroissante)
Cucullia verbasci(La Brèche) - NOCTUIDAE 1. Recherche des chenilles sur Verbascum (mai-juin)
2. Inspection des fleurs de Silènes au crépuscule (avril)
Cerura vinula(La Grande Queue Fourchue)- NOTODONTIDAE 1. Recherche des oeufs et chenilles sur jeunes Peupliers au printemps
2. Attraction lumineuse (mais se pose parfois loin de la lampe)
Mormo maura (La Maure) - NOCTUIDAE 1. Miellée
Xanthia gilvago - NOCTUIDAE 1. Recherche sur les fleurs de lierre ou les Phragmites en automne
2. Attraction lumineuse
Proserpinus proserpina (Le Sphinx de l'Epilobe) - SPHINGIDAE 1. Inspection des fleurs de Silènes ou d'Orchidées au crépuscule (mai-juin)
2. Recherche de chenilles la nuit sur les épilobes (juillet-août)
Lemonia dumi (Le Bombyx des buissons) - LEMONIIDAE 1. Attraction sexuelle avec femelle d'élevage (fin octobre)
Erannis defoliaria (L'Hibernie défeuillante) - GEOMETRIDAE 1. Recherche des papillons (surtout femelles) sur les troncs de feuillus en décembre
2. Attraction lumineuse (seulement mâles)
3. Elevage (chenille commune en mai)
Catocala fraxini (La Lichénée bleue) - NOCTUIDAE 1. Miellée (surtout femelles)
2. Attraction lumineuse (surtout mâles)
Elkneria pudibunda (La Pudibonde) - LYMANTRIIDAE 1. Attraction lumineuse (surtout mâles)
2. Elevage à partir de chenilles ou ponte
Samia cynthia (Le Bombyx de l'Ailanthe) - SATURNIIDAE 1. Recherche des cocons en hiver sur les ailanthes
Tyria jacobaeae (La Goutte de sang) - ARCTIIDAE 1. Recherche des chenilles sur Seneçons (juillet)
2. Recherche des imagos de jour dans les prairies (juin)
3. Attraction lumineuse - piège automatique (très tard dans la nuit).